Message du commissaire

L'année qui vient de s'écouler a été marquée par un vigoureux débat entourant les activités du Centre de la sécurité des télécommunications (CST ou Centre) et de mon bureau, chargé de l'examen de ces activités. Alimentées par les documents classifiés dévoilés sans autorisation par Edward Snowden et par les projets législatifs en réaction au meurtre de deux soldats canadiens sur le territoire national, les discussions ont porté en grande partie sur la question du contrôle des organismes voués à la sécurité et au renseignement. Les Canadiens méritent qu'on leur donne l'assurance que les activités de ces organismes — y compris toutes les autorisations supplémentaires qui peuvent leur être accordées — ne portent pas atteinte de façon déraisonnable à leur vie privée. Mon mandat est au cœur du débat, de même que le mandat de mes collègues du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC.

Dans ce contexte chargé, je dois prendre du recul. Pour m'acquitter de mes fonctions en tant que commissaire du CST, je m'inspire des nombreuses années où j'ai été juge pour examiner les faits impartialement, poser des questions de manière objective et voir les choses à travers le prisme du droit plutôt que de l'émotion. Mais je demeure profondément conscient du fait que le travail du CST suscite de fortes réactions lorsque les Canadiens estiment que leur vie privée pourrait être violée et lorsque le voile du secret sous lequel le CST s'acquitte nécessairement de son travail fausse l'idée qu'ils se font de ses activités — et par là même des activités de mon bureau.

Je continue d'être préoccupé par le débat public qui tire des conclusions ou se forge des opinions à partir d'une information incomplète. En l'absence du contexte intégral, qui ne peut être dévoilé à ceux qui sont à l'extérieur du « périmètre de sécurité », une information incomplète peut semer la confusion et être mal interprétée. La nature de son mandat oblige le CST à exercer en grande partie ses activités dans le secret. Mais mon bureau a pleinement accès au CST en raison de la Loi sur les enquêtes, qui autorise le commissaire et son personnel à examiner de manière approfondie l'organisation de l'intérieur pour savoir et comprendre ce qui s'y passe. Le rôle de mon bureau est de représenter l'intérêt du public dans la reddition des comptes du CST, mais d'une façon qui ne porte pas atteinte au travail important que fait le Centre, en vertu de la loi, pour protéger les intérêts nationaux du Canada et que les Canadiens attendent de lui. C'est là l'intention du législateur.

Les parlementaires auraient cependant été incapables de prédire la façon dont la technologie est en train de remodeler la société. Les technologies d'Internet et des télécommunications ont estompé les frontières internationales et fait bouger les frontières sociales. Ce contexte et le climat de menace actuelle requièrent la collaboration entre les organismes canadiens de sécurité et de renseignement. À vrai dire, nombre d'examens menés par mon bureau cette année reflètent le thème de la coopération, que ce soit entre le CST et le Service canadien du renseignement de sécurité ou d'autres institutions gouvernementales, ou entre le CST et ses homologues en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ou encore entre les organismes d'examen du renseignement.   

Alors que le gouvernement et les Canadiens cherchent la meilleure façon permettant aux organismes de sécurité et de renseignement de travailler ensemble tout en assurant parallèlement des contrôles adéquats et une protection appropriée de la vie privée des Canadiens, certains commentateurs ne voient pas d'un bon œil les pouvoirs accrus proposés par le projet de loi C-51, Loi antiterroriste, 2015. Quant aux effets éventuels de cette loi sur le CST et son travail, nous ne pouvons savoir pour l'instant avec précision quelle sera l'incidence des mesures qu'elle prévoit.

Il faut s'assurer que les exigences opérationnelles ne l'emportent pas sur la protection de la vie privée des Canadiens et cela peut être compensé par un renforcement de l'examen. Comme je l'ai écrit en mars 2015 au comité de la Chambre des communes chargé d'examiner le projet de loi C-51, compte tenu de leur mandat législatif actuel, la coopération en place entre les organismes d'examen est limitée. Force est de constater qu'une autorisation explicite pour les organismes d'examen de coopérer et de communiquer l'information opérationnelle viendrait renforcer la capacité de l'examen et son efficacité. Cette autorisation revêt d'autant plus d'importance que l'on voit s'instaurer progressivement une plus grande collaboration et un plus grand partage d'information entre les organismes de sécurité et de renseignement.

Il y a longtemps que la question de la collaboration entre les organismes d'examen a été soulevée. En effet, dans son rapport d'enquête de 2006 sur Maher Arar, le juge Dennis O'Connor recommandait qu'on établisse des passerelles dans la loi pour atteindre quatre objectifs : « l'échange d'information, le renvoi d'enquêtes à un autre organisme, la tenue d'enquêtes conjointes, ainsi que la coordination lors de la préparation des rapports ». Mon prédécesseur et moi nous sommes déjà attaqués au  premier objectif, en communiquant certaines informations au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, et j'ai commencé travailler à l'atteinte du dernier objectif — en vertu des pouvoirs actuel.

Tout au long de l'année écoulée, le CST a interagi avec mon bureau sans détours. Sa transparence avec moi témoigne du sérieux et de la confiance avec lesquels le Centre aborde le mandat dont il est investi par la loi.

La transparence continue d'être un élément clé de ma démarche, en raison de son importance pour maintenir la confiance du public. Mon rôle consiste en partie à faire connaître au Parlement et aux Canadiens les activités du CST et je pense qu'il est capital que j'étaie mes constatations du maximum d'explications possible, en tenant compte des limites imposées par la Loi sur la protection de l'information. En tant qu'organisme indépendant et externe, mon bureau peut demander au CST de justifier pourquoi certains renseignements doivent être considérés comme classifiés, et il l'a fait. À vrai dire, j'ai inclus l'an dernier des statistiques se rapportant à des communications privées interceptées de façon non intentionnelle et recueillies dans le cadre des activités de collecte de renseignements électromagnétiques étrangers du CST. Le rapport de cette année renferme encore davantage de statistiques. Je vois ces initiatives comme des mesures importantes pour contribuer à démystifier le travail du CST et mieux éclairer le débat public.

J'aimerais exprimer ma gratitude à M. John Forster, qui a quitté ses fonctions à la tête du CST en janvier 2015. M. Forster était ouvert et franc avec moi lorsqu'il y avait des questions à discuter qui pouvaient se révéler épineuses. Alors que j'accueille la nouvelle chef du CST, Greta Bossenmaier, j'espère pouvoir poursuivre une relation franche et professionnelle avec elle. Quant à mon compte rendu aux Canadiens concernant les activités du CST, il continuera d'être marqué par le même esprit d'ouverture.

Enfin, dans le cadre de l'un de mes examens cette année, je signale une fois de plus qu'un article de la partie V.1 de la Loi sur la défense nationale doit être modifié. Mon intervention s'ajoute à celle de tous mes prédécesseurs demandant qu'on modifie la partie V.1 pour lever les ambigüités. Il convient de rappeler que la partie V.1 de la Loi sur la défense nationale a été rédigée et adoptée rapidement en 2001, dans la foulée des événements du 11 septembre. Compte tenu des circonstances et de la menace évidente qui pesait sur la sécurité à l'époque, le Parlement n'avait d'autre choix que d'agir sans délai. Des modifications clarifieraient la loi et, à mon sens, elles ne devraient pas susciter de controverse. Je suis déçu des occasions manquées pour régler cette question importante.

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