La Loi antiterroriste

La Loi antiterroriste est une mesure législative majeure dont maints éléments touchent de nombreux domaines d'activité gouvernementale. Malgré les préoccupations soulevées par la hâte avec laquelle le texte de loi a été rédigé et débattu, je suis persuadé que ses dispositions relatives au CST et au commissaire du CST ont bénéficié des discussions qui ont eu cours pendant plusieurs années au sein du gouvernement, bien avant le 11 septembre.

Plus d'une décennie de débats

Dès 1990, le Comité spécial de la Chambre des communes sur l'examen de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité avait recommandé que le Parlement établisse le CST par voie législative. À l'époque, le gouvernement avait choisi de ne pas donner suite à cette recommandation, mais il avait indiqué qu'il envisageait de donner au ministre de la Défense nationale des moyens additionnels d'examiner les activités du CST. Cela a finalement abouti à ma nomination comme premier commissaire du CST, en 1996.

La question de l'établissement du CST au moyen d'une loi a refait surface en 1996, lorsque le commissaire à la protection de la vie privée a achevé son examen de cet organisme. Il concluait que, dans la mesure où sa vérification permettait de l'établir, le CST exerçait ses activités en conformité avec la Loi sur la protection des renseignements personnels et avec les principes régissant des pratiques d'information justes. Toutefois, il recommandait lui aussi outre l'adoption d'une loi habilitante pour le CST.

Plus tard la même année, le vérificateur général du Canada déposait un rapport sur la communauté canadienne du renseignement, dans lequel il invitait le gouvernement à étudier les avantages d'un cadre législatif approprié pour le CST. Il réitéra cet avis dans un court rapport de suivi, en 1998.

De même, en 1999, le Comité sénatorial sur la sécurité et le renseignement, présidé par l'ancien sénateur William Kelly, recommandait que le CST soit fondé sur une loi qui lui soit propre et que cette loi prévoie la création d'un organisme permanent et distinct d'examen de ses activités.

Dans quatre de mes rapports annuels, j'ai soulevé la question d'un texte de loi prévoyant l'établissement du CST. Dans ces rapports et ailleurs, j'ai fait valoir que l'adoption d'une loi qui définirait le mandat et les pouvoirs du CST ainsi que ses rapports avec le Parlement, le gouvernement et le ministre de la Défense nationale constituerait une mesure appropriée conférant à l'organisme une solide assise.

Ce qui avait été débattu depuis des années s'est soudainement réalisé. Le gouvernement a accepté l'avis de ses observateurs indépendants et convenu que, dans le contexte du projet de loi omnibus C-36, le moment était venu de présenter une loi relative au CST et au commissaire de cet organisme.

Selon moi, l'adoption de cette loi est opportune. Je pense en outre qu'elle prend en compte comme il convient l'équilibre crucial qui doit exister entre la nécessité pour l'État de recueillir des renseignements afin de protéger ses citoyens et les droits individuels de ceux-ci à leur vie privée.

Les parties de la Loi qui ont trait au CST et au commissaire sont décrites ci-après.

Le mandat du Centre de la sécurité des télécommunications

La Loi antiterroriste établit l'assise législative du CST en modifiant la Loi sur la défense nationale. Le nouvel article 273.64 de la Loi sur la défense nationale prévoit ce qui suit :

  1. Le mandat du Centre de la sécurité des télécommunications est le suivant :

    1. acquérir et utiliser l'information provenant de l'infrastructure mondiale d'information dans le but de fournir des renseignements étrangers, en conformité avec les priorités du gouvernement du Canada en matière de renseignement;

    2. fournir des avis, des conseils et des services pour aider à protéger les renseignements électroniques et les infrastructures d'information importantes pour le gouvernement du Canada;

    3. fournir une assistance technique et opérationnelle aux organismes fédéraux chargés de l'application de la loi et de la sécurité, dans l'exercice des fonctions que la loi leur confère.

  2. Les activités mentionnées aux alinéas (1)a) ou b)

    1. ne peuvent viser des Canadiens ou toute personne au Canada;

    2. doivent être soumises à des mesures de protection de la vie privée des Canadiens lors de l'utilisation et de la conservation des renseignements interceptés.

Ces dispositions ont pour effet d'inscrire dans la loi les activités qu'exerce le CST depuis ses débuts.

Autorisation ministérielle

La Loi sur la défense nationale dispose en outre que le ministre de la Défense nationale peut autoriser le CST à intercepter des communications privées dans des circonstances particulières, au moyen d'une autorisation ministérielle écrite. Ainsi, le ministre peut délivrer cette autorisation, à la seule fin d'obtenir des renseignements étrangers, s'il est convaincu que les conditions suivantes sont réunies :

  1. l'interception vise des entités étrangères situées à l'extérieur du Canada;

  2. les renseignements à obtenir ne peuvent raisonnablement être obtenus d'une autre manière;

  3. la valeur des renseignements étrangers que l'on espère obtenir grâce à l'interception justifie l'interception envisagée;

  4. il existe des mesures satisfaisantes pour protéger la vie privée des Canadiens et pour faire en sorte que les communications privées ne seront utilisées ou conservées que si elles sont essentielles aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité.

Par le passé, il était interdit au CST d'intercepter toute communication dans laquelle l'un des participants se trouvait au Canada – même si la cible de l'interception se trouvait à l'extérieur du pays. Cette nouvelle disposition permet au ministre de la Défense nationale d'autoriser les interceptions de cette nature dans les circonstances définies dans l'autorisation. Il pourrait s'agir, par exemple, d'une communication dans laquelle une personne d'un autre pays présentant un intérêt pour le renseignement étranger communique avec un collaborateur au Canada.

La nouvelle Loi permet en outre au ministre de délivrer des autorisations d'intercepter des communications privées « dans le seul but de protéger les systèmes ou les réseaux informatiques du gouvernement du Canada de tout méfait ou de toute utilisation non autorisée ou de toute perturbation de leur fonctionnement ».

Le paragraphe 273.65(4) de la Loi sur la défense nationale énonce les conditions d'une telle autorisation :

  1. l'interception est nécessaire pour identifier, isoler ou prévenir les activités dommageables visant les systèmes ou les réseaux informatiques du gouvernement du Canada;

  2. les renseignements à obtenir ne peuvent raisonnablement être obtenus d'une autre manière;

  3. le consentement des personnes dont les communications peuvent être interceptées ne peut raisonnablement être obtenu;

  4. des mesures satisfaisantes sont en place pour faire en sorte que seuls les renseignements qui sont essentiels pour identifier, isoler ou prévenir les activités dommageables visant les systèmes ou les réseaux informatiques du gouvernement du Canada seront utilisés ou conservés;

  5. des mesures satisfaisantes sont en place pour protéger la vie privée des Canadiens en ce qui touche l'utilisation et la conservation de ces renseignements.

La Loi prévoit que le commissaire du CST doit faire enquête sur les activités exercées en vertu d'autorisations ministérielles pour en contrôler la conformité, et rendre compte de ses enquêtes annuellement au ministre.

Le mandat du commissaire

En plus d'assigner au commissaire la responsabilité de faire enquête sur les activités exercées par le CST en vertu d'autorisations ministérielles, la Loi sur la défense nationale lui confie le mandat :

  1. de procéder à des examens concernant les activités du Centre pour en contrôler la légalité;

  2. de faire les enquêtes qu'il estime nécessaires à la suite de plaintes qui lui sont présentées;

  3. d'informer le ministre et le procureur général du Canada de tous les cas où, à son avis, le Centre pourrait ne pas avoir agi en conformité avec la loi.

Ainsi, le mandat que je remplis depuis 1996 en vertu d'un décret est maintenant inscrit dans la loi.

Défense d'intérêt public

La Loi antiterroriste a également apporté des modifications importantes à l'ancienne Loi sur les secrets officiels, qui s'intitule maintenant Loi sur la protection de l'information. Cette loi interdit désormais aux personnes astreintes au secret de communiquer ou de confirmer des « renseignements opérationnels spéciaux », ceux-ci comprenant, par définition, les renseignements relatifs aux genres d'activités qu'exerce légalement le CST.

Toutefois, une personne qui pourrait établir qu'elle a agi dans l'intérêt public en communiquant ou en confirmant des renseignements opérationnels spéciaux ne serait pas coupable d'une infraction à cette partie de la Loi. Celle-ci prévoit qu'une personne agit dans l'intérêt public si son but est de révéler « qu'une infraction à une loi fédérale a été, est en train ou est sur le point d'être commise par une personne dans l'exercice effectif ou censé tel de ses fonctions pour le compte du gouvernement fédéral ». L'intérêt public à ce que les renseignements soient divulgués doit l'emporter sur l'intérêt public à ce qu'ils ne le soient pas. D'où l'expression « défense d'intérêt public ».

Un juge ou un tribunal peut prendre en considération la défense de l'intérêt public seulement si la personne en cause a porté ses préoccupations à l'attention de l'administrateur général de l'institution concernée ou du sous-procureur général du Canada avant de divulguer les renseignements opérationnels spéciaux. Si une personne qui s'inquiète au sujet des activités du CST ne reçoit pas de réponse de l'administrateur général ou du sous-procureur général dans un délai raisonnable, elle doit alors signaler son inquiétude au commissaire du CST et lui donner un délai raisonnable pour répondre, à défaut de quoi elle ne pourra se prévaloir de la défense d'intérêt public.

Conséquences pour le commissaire

Il faudra un certain temps pour évaluer complètement les conséquences de la Loi antiterroriste sur mon travail. La responsabilité d'examiner les activités entreprises par le CST en vertu d'autorisations ministérielles est considérable. Ces autorisations étendront les activités du CST à de nouveaux domaines et, lorsqu'il donnera suite à cet élargissement de son mandat, je compte veiller à ce que l'organisme soit doté de politiques et de procédures appropriées, et qu'il les applique, afin de protéger la vie privée des Canadiens.

Le rôle du commissaire dans les causes faisant intervenir la défense de l'intérêt public est à certains égards comparable à la responsabilité que j'assume depuis le début à l'égard des plaintes relatives au CST, et je prévois que les mesures dont je dispose pour traiter celles-ci me permettront de réagir rapidement et de façon adéquate à toute préoccupation soulevée au sujet des activités exercées par le CST en vertu de la Loi sur la protection de l'information. Très peu de plaintes m'ont été présentées depuis que j'ai pris mes fonctions, en 1996. Il reste à voir si les nouvelles dispositions concernant la défense de l'intérêt public engendreront une activité additionnelle.

Le mandat du commissaire étant maintenant clairement établi par la loi, je n'aurai plus à débattre les mérites théoriques d'un régime d'examen du CST par rapport à un autre. Toutefois, le nouveau statut du commissaire en tant qu'institution gouvernementale permanente soulève une multitude de questions administratives pratiques qu'il faudra résoudre. En premier lieu, je devrai m'assurer que mon bureau dispose de ressources suffisantes pour examiner les activités élargies du CST. En outre, au cours des mois à venir, il faudra examiner d'autres questions, comme celle de la place de mon bureau au sein du gouvernement.

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